Ouvriers et artisans
Panoramique dans l'usine, la caméra resserre sur un journaliste qui s'entretient avec deux ouvriers qui charrient des planches en piles. Il évoque devant eux les propos qu'un artisan lui a livrés lors d'un entretien précédent : "pour rien au monde, il n'aurait voulu être un ouvrier". Selon l'un des deux ouvriers, l'artisan veut simplement "continuer son petit boulot" en ignorant le modernisme. Avec l'usine, la menuiserie est devenue "simple". Quand le journaliste lui demande s'il serrait capable de travailler comme un artisan, l'ouvrier répond qu'il ne connaît que "la méthode moderne". En plans de coupe, des vues sur un menuisier à l'ancienne, oeuvrant dans son atelier, avec un gros plan sur ses outils (cette séquence rappelle les réalisations de Georges Rouquier sur le tonnelier et le charron pendant les années 40 : à rappeler que le réalisateur Jacques Morin, ainsi que son assistant Léon Wisniewski, ont travaillé sur un film CNDP réalisé en 1965 par Georges Rouquier : L'ouvrier). Quand le film montre le travail des ouvriers, le découpage s'accélère, le montage est dynamique. Le visage des ouvriers n'est pas montré – par contre, les machines elles sont souvent au cœur des images - , le travail reste anonyme, au contraire de l’artisan montré de la tête au pied. Le montage est moins saccadé. Carton interactif : "Préféreriez-vous être : artisan? ouvrier?" (06:02)
La division du travail
Carton : « Des ouvriers en usine. 1° - De l’atelier à l’usine ou la division du travail ». Le film expose le processus de transformation et de fabrication du bois. Le commentaire insiste sur un principe clé : la division des tâches et les effectifs ouvriers. Les ouvriers complètent le travail des machines, ils deviennent un élément de la mécanique mise en place. Le commentaire précise que sur l’ensemble des effectifs, seuls 15% des ouvriers sont dits « qualifiés ». Il accumule les informations chiffrées (productions de portes, d’escaliers, de fenêtres, nombre d’ouvriers…) pour montrer l’ampleur de la productivité en usine et la spécificité de ses tâches. "Nous avons vu des machines, encore des machines, toujours des machines, et des hommes derrière les machines." Un carton pour finir : "Quelles traces humaines?" Le film cherche à orienter sa présentation vers la souffrance au travail, suggérant que le modernisme entraîne une pression psychique qu'il faut mettre en évidence. Il demande en quelque sorte de dépasser la simple lecture des images, de chercher à discerner ce que dissimule une chaîne de tâches uniforme servie par des machines efficaces et complémentaires. (13:14)
L'importance du rendement
Carton : "Des ouvriers en usine - 2° - le rendement des travailleurs". Cette séquence rappelle la stratégie qu’emploie l’entreprise afin d’accroître sa production et améliorer ses rendements en ayant mis en place une prime de rendement. Le journaliste tend son micro à des ouvriers groupés autour de lui, les interrogeant sur le rendement. Ils en constatent l'augmentation "à de petites choses", et l'augmentation de leur salaire par la prime relative au travail supplémentaire fourni. Ils sont invités à déclarer s'ils jugent cette augmentation intéressante, mais leurs réponses sont prudentes.
Dans son bureau, le Président Directeur Général est interrogé. Il assume totalement la stratégie de la prime de rendement qu'il a mise ne place en juin 1964. La raison : "arriver à être compétitifs vis-à-vis de la concurrence". Un ouvrier interrogé devant la tenonneuse sur laquelle il travaille. Il n'est plus impressionné par cette machine que d'autres pourraient trouver "monstrueuse". Il ajoute qu'elle reste néanmoins très difficile à régler. Faire "partie de la machine", pour lui, c'est s'être suffisamment familiarisé avec elle. Il ne s'agit pas de renoncer à son humanité par l'acquisition d'un état fusionnel avec elle, comme voudrait le lui faire dire le journaliste.
Pour rendre la stratégie de rendement plus compréhensible, une expérience est faite : mettre deux équipes de travailleurs l’une à côté de l’autre, l'une où ses membres sont monotâches, l'autre où ils sont chacun sur toutes les tâches. Sans doute faut-il estimer que la première équipe est la plus efficace, mais les résultats filmés ne permettent pas de tirer cette conclusion de façon claire. De même, la question de la prime n'est plus évoquée alors qu'il en a été question pendant toute la séquence. (21:10)
Dire la condition prolétaire?
Carton : « Des ouvriers en usine. 3° - L’ouvrier et sa condition ». Des patrons affirment en entretien la stratégie privilégier l'emploi des ouvriers « spécialisés » plutôt que des ouvriers « qualifiés ». Un ouvrier est dit spécialisé quand il est affecté à la réalisation d'une unique tâche. Ils décrivent un mode de qualification qui favorise l'augmentation de la productivité par une formation appropriée. Leur modèle d’organisation est plus productif et plus rentable économiquement.
Dernier plan du film : sortie d’usine, les ouvriers prennent leurs voitures ou leurs bicyclettes. L'atmosphère paraît gaie, avec des voix qui s'interpellent et des corps qui occupent l'espace en désordre. Ce plan contraste avec leur réserve et leurs attitudes contraintes quand ils se trouvaient dans les ateliers. Une musique pompeuse et inquiétante recouvre les bruits ambiants qui flottent sur les grands trottoirs et les chaussées humides de pluie qui séparent les bâtiments.