La paralysie infantile ː le cas de Johnny Green
Plongée en oblique sur un garçonnet couché dans un petit lit. La voix off le présente. Il s'agit de Johnny Green, un petit garçon de 2 ans qui a l'air d'aller plutôt bien. Il a l’œil vif et paraît éveillé. Il regarde directement vers la caméra, ce qui donne au spectateur l'impression que l'enfant le regarde droit dans les yeux. Deux mains soulèvent Johnny par les épaules tandis que la voix off annonce qu'il a eu la paralysie infantile, plus précisément appelée poliomyélite. On remarque qu'il ne tient pas sa tête. Des manipulations de son bras gauche montrent que la polio a laissé ses membres hypotoniques. Sa polio est guérie à présent et il commence à récupérer un peu de force musculaire. Il suit le mouvement de sa main gauche comme un bébé beaucoup plus jeune. L'objet que l'examinateur lui tend (la voix off dit que c'est une lampe torche alors que c'est en réalité un stylo ǃ) l'intéresse autant qu'un nouveau jouet. Il le saisit mais sans pouvoir le tenir seul (l'examinateur est obligé de soutenir le stylo pour que Johnny ne le lâche pas). L'enfant ne peut ni soulever la tête ni saisir le stylo de la main droite. Il s'en désintéresse très vite, peut-être distrait par la caméra qui se trouve à sa gauche. On remarquera qu'il regarde à nouveau le spectateur "droit dans les yeux" au moment précis où la voix off dit que Johnny ne peut rien faire à sa situation (there's nothing he can do about that) comme s'il voulait interpeler celui qui est train de le regarder. (01ː43)
La poliomyélite ː les adultes ne sont pas épargnés
Un jeune homme est couché dans son lit, chez lui. Sa mère, souriante et attendrie, parle avec le médecin d'un air plutôt enjoué. La voix off explique que le terme poliomyélite convient mieux que paralysie infantile car depuis toujours, cette maladie atteint des adultes. (Elle touche d'ailleurs autant d'adultes que d'enfants au moment où ce film est produit.) Le jeune homme alité, John Broadbent, a 19 ans. Il a eu la sagesse de se mettre au lit (He sensibly went to bed) quand il a commencé à avoir des symptômes grippaux. Assis sur son lit, le médecin prend sa température et l'interroge sur ses symptômes. John semble décrire une raideur ou une douleur dans la nuque. Le médecin lui fait passer un petit test pour établir un diagnostic différentiel car au début, la polio ressemble beaucoup à certaines autres maladies (In the early stages, there's often not much to distinguish polio from some other diseases.) Il le fait asseoir sur son lit, les jambes repliées, et lui demande de toucher ses genoux avec son nez. Le fait qu'il n'y arrive pas, associé à une "faiblesse" dans la jambe gauche, évoque la poliomyélite. Le diagnostic n'est pas encore posé mais comme une prise en charge précoce améliore largement le pronostic, John est aussitôt transporté à l'hôpital (deux ambulanciers sortent un malade d'une ambulance sur un brancard ). "Les médecins préfèrent être prudents." (Doctors err on the safe side.)
Deux unes de journaux, l'un indiquant un nombre de nouveaux cas (662, date inconnue), l'autre une diminution du nombre de cas (septembre 1947 ?) (02ː58)
Prise en charge hospitalière
Le film ne s'attarde pas sur la phase aiguë de la maladie (pour laquelle il n'y a pas de traitement) et passe tout de suite à la rééducation. Une infirmière découvre une petite patiente qui a un arceau dans son lit pour ne pas être gênée par le poids des couvertures. L'objectif des soins qui suivent est de permettre aux patients de se prendre en charge, c'est-à-dire de dépendre au minimum d'autrui et de la société. Un homme (infirmier, médecin, kinésithérapeute ?) mobilise les jambes d'un enfant dont on ne voit pas le visage. Ce travail permet aux médecins et aux patients "d'exprimer leur ingéniosité" ((...) rehabilitation offers tremendous scope for the ingenuity of both doctors and patients). Ce commentaire éveille la curiosité du téléspectateur qui restera cependant sur sa faim car le film n'en dit pas plus à ce sujet. La voix off insiste sur les transferts de connaissances qui s'effectuent d'un domaine à l'autre ː d'une part les techniques de rééducation naissent de l'étude d'autres maladies et des suites d'accidents, d'autre part elles s'appliquent ensuite à des patients souffrant d'autres maladies que la polio.
Succession de plans présentant une progression dans la rééducation ː mobilisation de l'articulation de la hanche ; marche entre deux barres parallèles pour John Broadbent et en poussant un petit chariot pour une fillette avec des tresses (la voix off souligne la dynamique qui peut se créer entre deux patients qui travaillent en même temps et s'encouragent tandis qu'on voit John et la fillette échanger quelques mots avant de reprendre leurs exercices respectifs). (04ː00)
Le modèle de la réussite ultime et de la ténacité, malgré la maladie
Des images manifestement tirées des actualités montrent l'inauguration de la statue de Franklin Roosevelt à Grosvenor Square à Londres le 12 avril 1948, en présence du roi Georges VI, de son épouse et de Mme Roosevelt. Musique triomphale (cuivres) lorsque la statue de l'ancien président des États-Unis est dévoilée. Transition de la voix off masculine (l'acteur Michael Redgrave) à Eleanor Roosevelt qui va expliquer ce que signifie "avoir foi en la rééducation".(05ː02)
Poursuite de la description de la prise en charge hospitalière et de la rééducation
Une femme vient de réajuster l'orthèse que la fillette aux tresses porte à la jambe gauche. Elle l'aide à faire quelques pas. Par contraste, Mme Roosevelt explique qu'elle se souvient de l'époque où avoir la polio signifiait qu'on resterait infirme toute sa vie. Manifestement, ce ne sera pas le cas de cette fillette qui est en train de récupérer la marche. Le film veut montrer ici que sa génération (celle des enfants des spectateurs pour qui ce film est conçu) aura moins à souffrir que celle de Franklin Roosevelt (qui a eu la polio en 1921, à l'âge de 39 ans) car "on a beaucoup progressé depuis cette époque" (A great deal has been done since then.)
Plan sur une femme en train de faire des exercices lents dans une piscine. E. Roosevelt rappelle que son mari avait fait construire une piscine pour ses exercices à la Maison Blanche mais que pour la plupart des gens, ce genre d'équipement est un luxe. Ce commentaire renvoie à la situation américaine car elle précise tout de suite qu'en Grande-Bretagne "être soigné à l'hôpital est un droit" (In Britain, hospital treatment exists as a right.)
Retour sur la petite fille aux tresses qui s'exerce à marcher entre les barres parallèles. "Les progrès ne sont pas toujours directs et simples." (Progress isn't always straightforward and simple.) Il ne s'agit pas de tromper les spectateurs en leur donnant de fausses idées sur la réalité des efforts nécessaires pour reprendre une vie normale mais de leur faire comprendre que la reprise d'une vie normale est possible et que c'est l'objectif du travail de rééducation.
Plan rapide sur un poumon d'acier autour duquel s'affairent deux infirmières. La gravité de l'état des patients qui ont besoin de ce type d'appareil et son caractère impressionnant sont atténués par un plan sur le visage du petit patient concerné, un garçonnet bouclé et souriant. (06ː05)
L'école à l'hôpital
Une dizaine de lits sont alignés dans une grande salle, une institutrice écrit sur un tableau noir. L'objectif de cette séquence n'est pas de détailler les apprentissages proposés aux petits patients mais de faire comprendre aux spectateurs que l'intelligence de ces enfants est intacte (pour aller à l'encontre d'idées reçues et de peurs ?) Un enfant écrit à la machine, d'autres, dans diverses positions, utilisent des crayons et des cahiers ordinaires. Plan sur le petit journal qui réunit leurs articles, notamment sur la vie de l'hôpital, leur lieu de vie pendant de nombreux mois.
Cette forme de scolarisation adaptée, rendue nécessaire par les soins hospitaliers dont les enfants ont besoin, peut être mise en parallèle avec le film Des enfants comme les autres où le choix d'une séparation stricte entre élèves voyants et malvoyants (notamment pendant la récréation) est peut-être moins compréhensible.(06ː41)
Ouverture sur la vie d'après
Divers plans sur des activités artistiques et artisanales permettant aux patients (adultes cette fois-ci) d'utiliser leurs muscles endommagés (making patients use their damaged muscles) ː peinture, tissage, travail du cuir, etc. Le nom de certains patients est cité. Ainsi, Sheila Harris est déterminée à "rendre sa vie utile" et E. Roosevelt affirme avec autorité qu'elle y parviendra (she is determined to lead a useful life, and she will.)
Nouveau message d'espoir ː on retrouve John Broadbent en train d'utiliser un métier à tisser sur les pédales duquel ses pieds sont sanglés pour qu'il puisse les manœuvrer. John fait partie de cette majorité de patients qui "contre-attaquent" (they fight back) et ne souffriront pas de séquelles graves.
Petite séquence sur Felicity Lane Fox (cf. Notes complémentaires ci-dessous), également en train de tisser. Elle a entrepris une carrière politique. L'adaptation de son siège lui permet de passer de la station assise à la station debout quasiment sans aide (cuivres triomphants et coupe de cymbale quand elle arrive à la station debout), ce qui est un nouveau rappel des possibilités d'autonomie de ces patients.
Petite séquence sur une autre personnalité, Richmal Crompton, auteure à succès, notamment de livres pour enfants (cf. Notes complémentaires ci-dessous), en train de travailler avec deux hommes (s'agit-il de la préparation d'un enregistrement pour la radio ?). La canne dont elle a besoin pour marcher est visible.
Petite séquence sur une jeune femme qui conduit une voiture. C'est une assistante sociale qui a eu elle-même la poliomyélite et qui, grâce à l'adaptation de sa voiture (embrayage manuel), peut mener une vie normale et "travaille aussi dur qu'une personne valide" ((...) works as hard as someone sound in every limb.) Sur cette séquence, on relève un petit élément discordant. En parlant de cette assistante sociale, E. Roosevelt dit ː "the almoner of this very hospital" ("l'assistante sociale de cet hôpital"). Or il n'est question d'aucun hôpital en particulier dans ce film. C'est en fait une trace du film (Polio Diagnosis and Management) dont certaines scènes ont été remontées pour réaliser His Fighting Chance. La séquence sur l'assistance sociale y est beaucoup plus longue puisqu'on explique d'abord son rôle dans le reclassement professionnel des personnes qui ont eu la polio avant de l'entendre évoquer la raison de son dévouement particulier pour ce type de malades ː elle a eu elle-même la polio. (08ː03)
Un exemple de reclassement professionnel
Retour sur John Broadbent. Sa vie va devoir changer. Il lui faut un métier qu'il pourra exercer assis. Ce passage pose un problème de compréhension pour le spectateur car la profession ou la formation antérieure de John n'ont pas été mentionnées jusque-là. Seul le spectateur qui a vu également Polio Diagnosis and Management sait que John était apprenti aux chemins de fer avant de tomber malade...
John reprend une formation pour devenir dessinateur industriel. En voix off, il explique ce qu'il pense de ce changement. Son commentaire insiste sur la satisfaction qu'il éprouve à retrouver une vie active normale. Lui aussi, comme le petit Johnny Green, regarde quelques instants en direction de la caméra. Droit et digne, il semble interpeler le spectateur qui oserait mettre en doute ses capacités ou le rejeter.
Ce passage peut être mis en parallèle avec toute la seconde moitié du film Clarté dans la nuit où, comme ici, l'accent est mis non pas sur les limitations imposées par le handicap (qui est d'ailleurs très peu visible à l'écran) mais sur l'insertion dans un milieu professionnel aussi normal que possible. (08ː52)
Tous les espoirs sont permis
Retour sur Johnny Green, le petit garçon du début du film. Un an a passé, il est toujours à l'hôpital (aucune allusion aux éventuels dommages psychologiques d'une séparation aussi longue d'avec la famille). Johnny ne peut toujours pas marcher mais on remarque qu'il tient un jouet de la main gauche. Une infirmière mobilise ses bras. E. Roosevelt explique que des médecins, des infirmières et ses parents vont l'aider. Plan rapproché sur Johnny. Pour lui, tous les espoirs sont permis grâce aux progrès qui ont été faits depuis l'époque où Franklin Roosevelt est tombé malade (soit près de 30 ans auparavant). L'enfant est à nouveau face caméra et semble regarder le spectateur droit dans les yeux comme s'il le mettait au défi de contredire le message d'espoir et les exhortations d'Eleanor Roosevelt (Go ahead, Johnny, and win through/"Vas-y, Johnny, tu vaincras").