Nécessité d'une prévention routière
Jamais la route n’a autant tué en une année qu’en 1972 : 18 034 décès, soit une moyenne de 50 morts par jour. Alors que 60% des ménages français possèdent une voiture, la question de la sécurité routière est un enjeu majeur. Des événements comme la mort en voiture d’Albert Camus en 1960 créent une onde de choc dans la population et alertent ponctuellement sur les dangers de la route, mais ils ne résolvent en aucun cas l’insouciance qui domine au volant puisque le nombre de mort par an sur les routes double entre 1960 et 1972. La vitesse, symbole de modernité et de liberté est souvent en cause, d’autant que la période des Trente Glorieuses rime avec un progrès technique qui rend les voitures encore plus rapides, la vitesse devenant ainsi pour les marques un argument de vente. Le cinéma en vient même presque à valoriser la vitesse et l’imprudence au volant à travers les courses poursuites qu’il met en scène : Le Casse (1967) d’Henri Verneuil montre une course-poursuite de neuf minutes, tournée dans les conditions réelles à Athènes, c’est-à-dire sans avoir arrêté la circulation au préalable. Une folie symbole de l’inconscience des automobilistes face aux dangers de la route, alors que dans le même temps, le confort de bord qui s’accroît génère une fausse impression de sécurité.
Face à ce fléau, un comité interministériel est créé le 5 juillet 1972 par le ministre Jacques Chaban-Delmas, qui a lui-même perdu sa deuxième épouse dans un accident de la route. Ce comité a pour vocation de faire passer des mesures visant à lutte contre l’insécurité routière. Il remplace l’association « Prévention routière » qui a, depuis la fin de la guerre, du mal à imposer des mesures fortes de prévention. Par exemple, elle réussit à pousser les pouvoirs publics à voter une loi autorisant la recherche du taux d’alcool dans le sang, mais seulement en cas d’accident grave. Mais l’hécatombe des années 1960 pousse les pouvoirs publics à agir et, en 1970 est votée l’obligation pour les véhicules neufs d’être équipés de ceintures trois points à l’avant. Ce n’est cependant que le 1er juillet 1973 avec l’appui du comité interministériel de la sécurité routière que le port de la ceinture devient obligatoire à l’avant. La limitation de vitesse est également étendue à tout le réseau routier à cette date.
L'opération "Mazamet, ville morte"
1972 constitue une année noire sur les routes de France avec 16 545 tués, ce qui équivaut à la population d’une ville comme Mazamet (Tarn), comme le souligne une dépêche de l’Agence France Presse (AFP). Cette comparaison donne à Michel Tauriac (entré dans le journalisme dans les années 1950, M. Tauriac travaillant aussi bien pour la presse écrite que pour la radio et la télévision) l’idée de lancer à la télévision l’opération « Mazamet, la ville rayée de la carte ». Il entend matérialiser dans l’espace urbain l’hécatombe routière en demandant à tous les habitants de la ville de s’allonger devant leur domicile ou leur lieu de travail. Le 17 mai 1973, Mazamet, à 14 h 30 et pendant dix minutes, devient une ville morte. Cette performance consistait à rendre visible la mort pour alerter l’opinion publique sur des cadavres qu’elle ne voulait pas voir. Elle a représenté un tournant dans le combat pour la sécurité routière, en faisant de la « ville morte » un spectacle symbolique support d’une campagne médiatique.
La mise en oeuvre de l'opération a suscité des réticences et rencontré des obstacles. Ces habitants ont peur que l’image de Mazamet se trouve écornée par cette assimilation funèbre. Pierre Barraillé, le maire de la ville, adopte d’ailleurs au début cette position plus que timorée à l’égard du projet ; il est en effet très sceptique à l’égard d’une manifestation susceptible de coller à sa commune, déjà en proie à un déclin industriel, une image négative, d’autant que le premier magistrat de la ville se trouve être par ailleurs à la tête de la distribution des carburants dans cette zone géographique. Plus largement, toutes les personnes ayant intérêt au développement de l’automobile dans le département sont plus que circonspectes à l’encontre d’une initiative qui implicitement les désigne comme des marchands de mort.
Cf. Le Pajolec, Sébastien. « Une ville morte pour sauver des vies. Une opération médiatique. Mazamet le 17 mai 1973 », Hypothèses, vol. 19, no. 1, 2016, pp. 391-401.
La prévention par l'audiovisuel
Ce film de prévention n’est pas le premier à être diffusé sur l’antenne nationale. En 1970, la troisième chaîne couleur de l’ORTF diffuse par exemple Les combattants de l’espoir, réalisé par Claude Laplaud. Il s’agit de la reconstitution d’un accident de la route mêlée de plusieurs témoignages de victimes de l’insécurité routière. Dans les années qui suivent, Christian Gerondeau, nommé délégué à la Sécurité routière, popularise la mission de prévention par le biais de ses apparitions télévisées récurrentes. À l’orée des années 1970, la « petite lucarne » apparaît désormais comme un support incontournable pour la communication des pouvoirs publics.