La notion clé à retenir dans la réalisation de ce film est la volonté de créer une proximité entre les personnes filmées et le spectateurices. Cela répond naturellement à l’objectif de l’AFM qui est de produire des films qui permettent au grand public d’appréhender le quotidien de ces enfants et de leurs familles touchées par une maladies rare, ici particulièrement par l’amyotrophie spinale. Ce film donne la parole aux parents, ce n’est pas un film destiné à expliquer la maladie mais plutôt ses répercussions sur la vie quotidienne et les épreuves auxquelles se trouvent confrontés les parents des enfants malades. Le film ne montre pas d’images des enfants dans des structures hospitalières mais dans des lieux quotidiens, qui sont ceux de tous les enfants: l’école, la piscine, le centre commercial. Les activités filmées sont toute de l’ordre de « la vie de tous les jours » : sortir de la voiture, laver l’enfant, l’habiller. Il tend à démontrer comment ces actions communes sont pour ces enfants et leurs parents d’une très grande complexité.
Les spectateurices sont donc ainsi amenées à s’identifier à ces familles, soumises aux mêmes contraintes que n’importe quel parent (aller travailler, s’occuper des enfants, jouer avec eux…) mais qui doivent parallèlement assumer un handicap extrêmement lourd.
Le public se trouve face à des images de reportage, dont la dimension esthétique ne semble pas être l'enjeu prioritaire. Néanmoins par de subtils effets de juxtaposition d'image, les réalisateurices parviennent à donner une dimension artistique et donc très émotionnelle à ces images brutes. Par exemple, l'image du fauteuil au milieu des corps dansants des jeunes enfants fait ressortir la matérialité de ce fauteuil et la masse qu'il représente comparé au corps encore si petit de la jeune Juliette.
Dans l'introduction du Regard des autres (1990), Monique Saladin se confie en ces termes:
" Toute rencontre provoque une certaine émotion mais sans doute est-elle
plus forte, même inconsciemment, avec une personne handicapée. Comme
dans toute situation humaine, elle change selon les personnes, les lieux et les
raisons de la rencontre. Certes, dans toute communication inter-personnelle,
on joue un peu à cache-cache avec ses propres sentiments, mais ce jeu devient
plus compliqué avec bon nombre de handicapés. Il n'est pas facile d'établir
avec eux la juste distance relationnelle. On oscille entre une mise à distance
ou une trop grande implication. Il y a surtout une rigidité de communication
qui s'instaure et qui semble difficile à modifier. Il faut libérer les émotions,
les leurs comme les nôtres. Ne plus en avoir peur, les apprivoiser car si elles
n'arrivent pas à s'exprimer, nous ne pourrons jamais nous adapter à la
situation. Nos émotions font partie du processus d'adaptation.
Arriver à une attitude réceptive à l'autre, sans angoisse ni rejet, sans
compassion, ni pitié ni complaisance, dans une supposée supériorité que vous
donne la conscience de votre propre intégrité apparente, demande beaucoup
de temps.
Toutes ces choses oblitèrent nos rapports avec ces autruis, miroirs
dérangeants de nos fragilités et de nos déficits. Le moi idéal, modèle ou
idole, est battu en brèche par ce renvoi à nos incomplétudes, à nos diminutions, à la plus massive et déterminante de celles-ci : la perte de la vie.
Elles sont donc des images insoutenables de notre propre mort.
Ces sentiments, concomitants mais aussi contradictoires, sont autant
d'éléments qu'il a bien fallu, à un moment donné, regarder en face.
Comment
admettre que nous soyons doubles en nous-mêmes puisque la vie et la mort
s'y affrontent? Comment devenir conscients de nos inconscients et des désarrois
qui y règnent? Comment réussir à devenir complice de notre malaise? Le
handicap n'est-il pas, finalement, un déficit d'identité, une détérioration du
rapport au monde qui va jusqu'à la mort? Etais-je seule habitée de tout cela?
Fallait-il le taire ou en parler? N'était-ce pas moi le monstre?
C'est alors que je me suis aperçue que parmi les valides, tout le monde,
ou presque, avait peur, et que les handicapés, aussi, finissaient par avoir peur
de la confrontation. Chacun campait sur ses positions. La communication,
les rapports entre valides et handicapés se passent comme si les deux groupes
en présence se faisaient réciproquement peur. Des deux côtés, même si l'on
s'observe à la dérobée, la méconnaissance des problèmes de l'autre est
importante. Les défenses profondes qui se manifestent lors d'une confrontation
ne sont guère entamées. Souvent les problèmes sont mal posés. Chaque geste
des uns augmente la gêne des autres. Où se situe cette peur? Comment la
débusquer? Peut-on la dépasser? Comment peur et marginalisation peuvent-
elles céder la place à une communication capable de transformer progressi
vement les relations?
Il fallait sortir de cette situation, d'autant plus qu'aujourd'hui, parmi les 320 millions d'habitants de la Communauté européenne,
près d'un tiers vit de façon plus ou moins proche, et plus ou moins régulière,
les problèmes induits par les handicaps de plus de 30 millions d'entre eux.
"