Censure et destin du documentaire :
Ce film devait constituer le pré-programme du long métrage PS de Roland Gräf sur l'histoire de jeunes d'environ 18 ans qui viennent de quitter l'orphelinat ou le foyer, mais le directeur général du DEFA-Studio für Spielfilme de l'époque, Hans Dieter Mäde, a interdit que ce documentaire soit terminé et projeté (cf. carton au début du film). Le film est resté interdit jusqu'en 1989, à cause des récits des enfants battus par leurs parents ou qui les voyaient boire. Il a été accusé de faire le portrait d'un pays présentant beaucoup de problèmes sociaux et familiaux. Peut-être présentait-il aussi trop d'éléments en lien avec la culture américaine (musique et jeans) ?
Il a été diffusé pour la première fois le 30 janvier 1990 au Internationale Kurzfilmtage Oberhausen (Festival international du court métrage d'Oberhausen).
D'après la DEFA, Roland Gräf apparaîtrait dans le film en tant que personnage secondaire.
Les foyers pour enfants et adolescents en RDA :
En RDA, entre 1949 et 1990, environ 500 000 enfants et adolescents sont placés dans des orphelinats ou des foyers. Parmi eux, 135 000 sont placés dans des Spezialheimen (foyers spéciaux), tels que des "Spezialkinderheimen" (pour les 6-18 ans) et des Jugendwerkhöfen (pour les 14-18 ans) car ils sont considérés come des "enfants/adolescents à problèmes/difficiles à éduquer" (schwer erziehbar/mit Erziehungsschwierigkeiten).
Presque 30 000 personnes se sont tournées vers le Fonds Heimerziehung (Fonds « Éducation spécialisée ») jusqu'à l'automne 2014 pour obtenir de l'aide concernant les conséquences de l'éducation qu'elles ont reçue en foyer en RDA. Certaines punitions qui leur étaient infligées alors sont considérées comme de la torture de nos jours.
Le foyer Geschlossenen Jugendwerkhof Torgau (centre fermé de rééducation par le travail pour adolescents de Torgau) était un exemple frappant de maltraitance des jeunes dans ces établissements.
Le film montre que si ces enfants ont été placés en foyer pour être protégés de leurs parents alcooliques et violents, ils ne sont pas forcément complétement à l'abri de certaines formes d'agression. On y voit les interviews de certains jeunes qui admettent être violents tandis que l'une des adolescentes raconte comment elle s'est échappée d'un autre foyer avec d'autres enfants.
Le témoignage anonyme d'une personne qui a été envoyée dans le foyer de Mentin en 1969 à l'âge de 15 ans, après une tentative de fuite à l'Ouest avec ses parents révèle les éléments suivants : .
Le foyer se trouvait dans un ancien manoir. Il y a avait 2 chambres pour les filles (12 et 4 lits) et une pièce commune avec une radio. À côté se trouvait une partie réservée aux garçons. Les élèves avaient entre 6 et 16 ans (de la 1. Klasse jusqu'à la 10. Klasse).
Ils étaient affectés à des « services » qui permettaient de faire fonctionner l'essentiel du foyer. Les élèves plus âgés devaient éduquer les plus jeunes. Les journées étaient marquées par des « évaluations de groupe » sur le comportement de certains pensionnaires qui étaient sanctionnés par l'ensemble du groupe.
Description des conditions de vie :
- Lever à 6h.
- Toilette au lavabo tous les matins et douche/bain une fois par semaine.
- Scolarisation dans le village voisin. Le directeur de l'école avait à cœur la bonne intégration des pensionnaires du foyer, ce qui permettait de bonne relations entre les élèves et réduisait les aprioris concernant les élèves venant du foyer.
- L'après-midi, devoirs et "services" (nettoyage et entretien du jardin, du parc, de la cuisine et du bâtiment). Le foyer avait également un contrat avec une coopérative de production agricole. Les enfants allaient travailler dans les champs à partir de 12 ans. L'argent obtenu revenait au foyer. Les éducateurs "déléguaient" leur travail dans les champs aux enfants. Ce travail ne devait pas interférer avec la réussite scolaire des élèves mais il arrivait qu'ils s'endorment en classe le lendemain.
- Il y avait d'autres activités comme des revues de presse (Zeitungsschau) ou des évaluations de congrès du parti (Auswertung von Parteitagen).
- Très peu de temps libre.
- Il n'y avait pas de punitions par isolement mais plutôt des interdictions de sortir (Ausgangsperre) et d'aller au cinéma ou des tâches ménagères supplémentaires à accomplir. Certains pensionnaires du foyer pouvaient se voir interdire de rentrer voir leur famille pendant les vacances.
- Interdiction de rentrer dans la chambre du sexe opposé mais il régnait une bonne ambiance générale sans surveillance particulière.
- Les éducateurs étaient amicaux et il était possible de fêter son anniversaire et Noël car le foyer n'était pas très grand.
(Source : Christian Sachse, Jugendhilfe der DDR im Dienst der Disziplinierung von Kindern und Jugendlichen (1945-1989), voir ci-dessous)
Summerhill, une source d'inspiration éventuelle ?
La liberté avec laquelle les enfants et adolescents du foyer de Mentin ont l'air de vivre rappelle certains des principes énoncés dans le livre d'Alexander Sutherland Neill : Summerhill. A radical approach to child rearing. Penguin, Harmondsworth 1980, ISBN 0-14-020940-9 (EA New York 1960).
Il semble qu'il ait été publié en allemand sous deux titres différents :
- Erziehung in Summerhill. Das revolutionäre Beispiel einer freien Schule. Szczesny-Verlag, 1965, ISBN 3-499-60209-1 (übersetzt von Herman Schroeder und Paul Hostrup, Vorwort von Erich Fromm)
- Theorie und Praxis der antiautoritären Erziehung. Das Beispiel Summerhill. Rowohlt Taschenbuch, Reinbek 1969, ISBN 3-499-16707-7 (übersetzt von Herman Schroeder und Paul Hostrup, Vorwort von Erich Fromm)
Témoignage de Jana Simon qui a grandi en RDA (Berlin) (cf. article du Zeit Online ci-dessous) :
"Entre-temps, les principes d'une éducation anti-autoritaire étaient arrivés jusqu'à Berlin-Est. J'ai été profondément marqué par Summerhill, cet internat britannique qui fonctionnait en auto-gestion et où les enseignants et les élèves avaient le même droit de vote sur tout. À l'Ouest, le livre qui était consacré à cet établissement, Theorie und Praxis der antiautoritären Erziehung, était un best-seller. Désormais, il avait également sa place sur nos étagères, comme une grenade dégoupillée prête à faire exploser mes pensées. Une éducation anti-autoritaire dans un état autoritaire. Summerhill est devenu symbole de liberté pour moi. Il m'arrivait de feuilleter ses pages usées plusieurs fois par jour, comme si je voulais me convaincre que ces lignes existaient vraiment : les élèves avaient le droit de contester les punitions, ils avaient renoncé aux mesures disciplinaires et aux pressions, il n'était pas obligatoire d'assister aux cours. Dans ma vie quotidienne, à l'école Dr.-Richard-Sorge, l'important était de développer une personnalité socialiste docile et inscrite au sein du collectif. Et cette transformation-là, il n'était jamais trop tôt pour la démarrer." (Inzwischen waren auch die Prinzipien der antiautoritären Erziehung bis nach Ost-Berlin gelangt. Tief hat sich mir Summerhill eingeprägt, das britische Internat mit demokratischer Selbstregierung, wo Lehrer und Schüler gleichberechtigt über alles abstimmten. Im Westen war das Buch darüber, Theorie und Praxis der antiautoritären Erziehung, ein Bestseller, nun ruhte es auch in unserem Bücherregal wie ein Blindgänger, der seine Sprengkraft in meinen Gedanken entfalten konnte. Antiautoritäre Erziehung in einem autoritären Staat. Summerhill wurde für mich zum Symbol der Freiheit. Manchmal blätterte ich mehrmals am Tag in den abgegriffenen Seiten, als müsse ich mich vergewissern, dass die Zeilen tatsächlich existierten: Schüler durften gegen Bestrafungen protestieren, auf Disziplinarmaßnahmen und Beeinflussung wurde verzichtet, man musste noch nicht einmal zum Unterricht erscheinen. In meinem Alltag an der Dr.-Richard-Sorge-Schule ging es darum, sich zu einer folgsamen sozialistischen Persönlichkeit im Kollektiv zu entwickeln. Damit konnte man nicht früh genug beginnen.)