Le cauchemar de la syphilis
En montage parallèle, sur une musique doucereuse et romantique, alternance de plans d'une jeune femme élancée en maillot de bain qui évolue dans l'eau avec des plans de coupe montrant un homme adulte aux gestes hagards et qui annone et des bébés vagissant sur fond noir. La séquence fait se contraster vivement l'incarnation de l'épanouissement physique avec des représentations cliniques de corps en souffrance. Commentaire : "Ces enfants ne seront jamais des êtres humains beaux, sains et complets." Il précise la cause de ces malformations : la syphilis. Le mot apparaît en lettres angulaires et déformées, d'une typographie qui rappelle celle des intertitres dans le film expressionniste Le cabinet du Dr. Caligari (Robert Wiene, 1921). La réalisation emploie délibérément les ressorts cinématographiques du fantastique pour happer l'attention du public : interjections de visions terrifiantes, déformation du dessin ordinaire des lettres.
La responsabilité de l'Ancien régime et des étrangers
Gros plan sur des pages imprimées que tourne une main visible en amorce. Le commentaire indique que ce sont les dossiers médicaux concernant des personnes appartenant à des types sociaux très divers. Il s'agit de rappeler que toute la société "pré-révolutionnaire" était exposée à la menace vénérienne: "un étudiant, un noble, un huissier..." Dans la bande son, une musique foraine : là encore, la réalisation emploie un ressort émotionnel du genre expressionniste, qui consiste à associer une musique festive à un contenu grave pour rendre la scène sinistre. Portraits de cour pour mettre en cause la famille royale. Le commentaire affirme que la syphilis "venait surtout des bordels", type de lieux dont la civilisation monarchique-capitaliste favorisait l'existence. Photographies cliniques de malades. Le commentaire ajoute que la présence étrangère pendant la Première Guerre Mondiale a aggravé la situation. Comme s'il s'agissait d'un vieux souvenir, il précise que "certaines manifestations de la syphilis ne se trouvent plus que dans les manuels aujourd'hui" grâce aux mesures prises par le pouvoir soviétique (éradication de la prostitution, mise en place d'un réseau d'institutions médicales et promotion de l'éducation sanitaire) pour juguler l'expansion du fléau. "Mais, ajoute le commentaire, la communauté médicale est de nouveau confrontée à cet ennemi presque oublié." (04:04)
Description clinique
En séquence parallèle, images microcinématographiques montrant des spirochètes en alternance avec des plans d'une laborantine les observant au microscope. Le commentaire précise, et assume, que le "tréponème pénètre dans le corps surtout par voie sexuelle". Sur des images de jeunes femmes posant de manière romantique, le calendrier de la maladie : intervention du stade primaire au bout de 6 à 8 semaines, du stade secondaire au bout de 2 à 4 ans, du stade tertiaire "plus tard". GP de parties génitales masculines et féminines atteintes par le chancre, photographies de torses et de mains marquées par une éruption "vésiculeuse ou pustuleuse". Les parties anatomiques concernées sont montrées sur fond noir pour accentuer le didactisme des plans. Vue sur une nuque d'homme à la chevelure rare : "Chaque médecin devrait savoir qu'une alopécie nécessite un test de Wassermann. Le traitement est nécessaire pour ôter l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de la personne qui a contracté la maladie. De nouveau, apparition de céroplasties montrant un fessier, une aine, un visage blessés. Le plan sur le visage passe au noir et blanc pour lui faire prendre l'apparence d'une photographie clinique. "Lorsqu'ils sont localisés sur les muqueuses, les ulcères de la syphilis tertiaire entraînent une destruction profonde et étendue des tissus mous et du système squelettique." (12:37)
La cause : l'air du temps
Sur fond d'une musique hard-rock épouvantable (en 1979, triomphe du groupe AC-DC et avènement de la vague allemande), succession de photographies de pin ups des années 70 aux poses décontractées et provocantes, souvent prises en contreplongée. "Dans de nombreux pays, les soignants et spécialistes des sciences sociales s'inquiètent de la propagation de la syphilis". Selon le commentaire, les causes sont à chercher dans "l'indépendance précoce des jeunes..." - succession de clichés montrant des jeunes femmes décontractées, souriantes et facétieuses, pris dans la rue, dans les bars, sur la plage - "les migrations, l'ignorance en matière d'hygiène sexuelle, le relâchement des liens conjugaux, l'excès du temps libre, du tourisme". Il s'ajoute le développement de la presse pornographique et les relations faciles. Les derniers clichés de la série, par contraste avec les précédents, montrent un jeune homme prostré, une jeune femme en larmes. (13:35)
La réponse médicale
Représentation en film d'animation de la prédominance de la syphilis sur les maladies les plus prégnantes en URSS : paludisme, méningite, tuberculose et hépatite. Entretien avec le chef du Premier institut médical de Moscou, Robert Babaiants. Le médecin, installé devant des planches radiographiques, explique que la société soviétique ne pouvait échapper à l'étendue des ravages de la maladie vénérienne sur le monde entier. "En raison des contacts avec l'étranger, et de certaines autres questions, il est nécessaire de mobiliser toutes nos capacités et nos ressources sur la question prophylactique. L'URSS n'a pas les raisons sociales à l'origine des maladies vénériennes mais notre vigilance doit être maximale." Explications floues, décision ferme. (14:33)
Le médecin mène l'enquête
Dans un dispensaire, un homme en entretien avec une infirmière. Stridence de la note continument jouée par un violon pour accentuer la charge dramatique de la scène. Le commentaire précise que l'homme vient consulter quelques semaines après "un rapport sexuel avec une inconnue". L'infirmière écoute attentivement, l'air grave. Cut, dans la même pièce, l'infirmière est à présent accompagnée d'un médecin. Elle lui explique que l'homme était ivre au moment de son rapport et a contracté la syphilis comme le révèle l'examen. "Il ne se souvient que du nom de la femme, pas de son adresse". Nous comprenons que le traitement de la question prophylactique consiste en la mise en place d'une enquête, laquelle, d'après les informations recueillies auprès des patients, doit mettre au jour les chaînes de contamination d'après un chaînon identifié.
Le film se termine sur une étrange séquence d'allure policière, avec, comme détective, le médecin-chef du dispensaire, soucieux de préserver "beaucoup d'autres personnes". La note tenue du vion s'intensifie, accentuée par des notes basses de piano. Coiffé d'une toque, le médecin embarque sans hésitation dans une voiture de couleur orange qui parcourt les rues enneigées. "Le manque d'informations fait de cette histoire un véritable roman policier", souligne le commentaire. De fait, le médecin rivalise avec Columbo (dont la série était alors très populaire) d'entregent et de perspicacité pour retrouver, dans un quartier populaire, la femme qui a contaminé le patient. Elle n'était pas consciente de sa maladie "car elle prenait des antibiotiques pour des raisons mineures". Comme dans les trois autres films soviétiques de prévention contre la syphilis (Passions éphémères, Chemin dangereux), le film insiste sur les effets trompeurs que causent la prise d'antibiotiques sur les examens. A présent, la femme identifiée va être hospitalisée. Toute cette séquence rappelle le récit de l'enquête mené pour les mêmes motifs dans le film français de 1945 L'ennemi secret. Pour finir, l'enquête appuie la dénonciation par les autorités du relâchements des moeurs dans toutes les strates de la société. Le circuit des contaminations, illustré par un schéma au centre duquel se trouve la photographie d'une femme aux yeux rayés par une barre noire, s'explique par "la promiscuité sexuelle".