La peur d’appeler à l’aide
Assis sur un banc, dans un parc, Christian Gouley-Gelly parle. Séropositif, il raconte avoir eu des difficultés à prendre contact avec l’association : Il avait « peur de [se] retrouver dans un ghetto », et refusait d’accepter sa condition de malade. Après plusieurs mois d’attente, il contacte l’association. Un volontaire de l’association est venu lui rendre visite à l’hôpital et lui a parlé de la maladie, de ses conséquences. Le groupe AIDES loisirs lui a fait rencontrer d’autres malades et des volontaires.
Le jeune homme s’est retrouvé seul à l’annonce de sa maladie. L’association constitue alors un point de repère pour lui. Elle lui permet également de réaliser que des gens sont prêts à donner de leur temps pour s’occuper des malades.
La permanence téléphonique
Un appartement. Musique étrange au synthétiseur. Des bureaux sont installés, plusieurs personnes parlent au téléphone. Nous sommes à la permanence téléphonique d’AIDES Plans individuels sur des volontaires. L’une demande à son interlocuteur s’il a informé son partenaire de sa maladie, le second parle des avancées de la science sur la connaissance de la maladie.
Dans une logique d’institutionnalisation, l’association tient un registre des motifs d’appels. Les personnes qui appellent AIDES peuvent avoir des raisons différentes. Souvent, il s’agit d’inquiétudes en réaction à des informations parues dans la presse. La plupart du temps, ces personnes font appel à l’expertise d’AIDES autour de symptômes qu’ils croient développer ou autour de la question des tests. Il peut également s’agir de demandes d’informations de sujets issus de groupes à risques, que l’association redirige parfois vers des médecins identifiés comme habitués à la question du sida et bienveillants envers les patients.
L’expérience de l’accompagnement
Une jeune femme qui travaille à la permanence raconte les motifs de son engagement. Au début de l’épidémie, elle a travaillé dans un hôpital spécialisé en infectiologie. Elle a été marquée par la panique des soignants face à l’épidémie. « Je trouve qu’ils mettaient pas assez d’eux », déplore-t-elle. Elle a ensuite entendu parler d’AIDES par le biais d’amis, ce qui l’a poussée à s’engager.
Un deuxième volontaire est interviewé, devant une affiche du groupe information-prévention de l’association. Il explique quelles sont les missions des volontaires assignés à l’aide aux malades. Il s’agit d’une fonction de médiation, de lien. Le volontaire doit être attentif à ne pas se substituer aux proches, mais à tenir une position qui permette que « de nouveaux liens puissent s’instaurer ».
Assis auprès d’une fenêtre à côté d’un malade, Lorenzo Thinès explique ce qu’il apporte au patient. Face aux malades qui rencontrent des difficultés après l’annonce de la maladie, il est susceptible de procurer un soutien social et juridique, mais il s’agit avant tout d’une aide psychologique.
Des groupes de parole
Plan dans les locaux de l’association. Des volontaires discutent, d’autres travaillent sur ordinateur. Denis Smadja décrit l’organisation des groupes de parole : il s’agit de personnes « d’horizons sociaux, sexuels, culturels très différents » dont le point commun est l’expérience de la maladie. Le médecin insiste sur la présence tant de femmes que d’hommes au cours de ces réunions. Il souligne également que, contrairement à la maladie déclarée, la séropositivité ne nécessite pas d’organisation spécifique d’accompagnement, mais un soutien et un conseil pour le patient, qu’il s’agisse d’informations d’ordre législatif, social, juridique. C’est dans cette perspective que l’action de l’association envers les séropositifs s’oriente.
Une action de terrain
Stand d’AIDES dans les rues de Paris. Des passants posent des questions. Une femme demande aux volontaires ce que veut dire « séropositif ». Ceux -ci lui répondent qu’il s’agit d’une personne qui a été en contact avec le virus et qui a développé des anticorps à son encontre. Un jeune homme s’interroge : En étant séropositif, peut-on développer le sida ? A quels facteurs est-ce dû ? Informer, distribuer des brochures, répondre aux questions, la mission de prévention d’AIDES est avant tout une action de terrain.
Le positionnement politique d’AIDES : le témoignage de Daniel Defert
Daniel Defert, le président de l’association témoigne de l’utilité qu’il prête à l’association. Assis à son bureau, devant une bibliothèque amplement fournie, il assure qu’AIDES n’a pas vocation à se substituer aux pouvoirs publics, mais de jouer le rôle d’ « association pilote ». Il s’agit de proposer des réponses à l’épidémie, en précurseur de la réponse publique et médicale.
Parmi les innovations de l’association, Daniel Defert cite les premières brochures de prévention, la permanence téléphonique ou encore des actions de soutien aux malades avec APARTS et les groupes de parole.
Quelle place pour le médecin ?
Réunion de médecins de l’association. Une première médecin interviewée souligne la méfiance de l’association envers la question du dépistage systématique. Elle plaide en faveur de la tenue d’un bulletin d’information régulier dédié à l’épidémie. Un deuxième médecin témoigne de ce qu’il estime être l’originalité d’AIDES : la croisée des perspectives entre patients, soignants, proches. Le médecin n’y occupe pas une position hégémonique : le sida ne pose pas que des enjeux médicaux, mais également sociaux.
Reprise de parole de Daniel Defert. Pour lui, l’épidémie est cruciale en ce qu’elle change la perspective dont la société appréhende la mort. Le sida tue des personnes jeunes, parfois des enfants sans que celles-ci aient pu s’y préparer. Selon le sociologue, l’association a produit « un certain repoussement de la mort » sous la forme d’un « enrichissement de la vie ».