La pénalisation de l'alcool au volant
À partir des années 50, la conduite et l’achat de véhicules se généralisent. Les conditions de circulation deviennent davantage dangereuses, contribuant à grossir chaque année le nombre d’accidents. Cette densification du nombre de véhicules – de plus en plus puissants – s’accompagne peu à peu d’une prise de conscience : la méconnaissance largement répandue des réglementations. Un autre problème apparaît : L’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanie, évalue – pour les années 70 –, à 23,2 litres la consommation d’alcool pur par habitant de plus de 15 ans en France (48g d’alcool pur par jour, soit le niveau le plus élevé au monde). Ce chiffre passe à 20,1 dans les années 80. L’alcool au volant fait environ 14000 morts par an en France dans les années 1970. L’alcoolisme, qui touche en particulier les plus jeunes, devient peu à peu un sujet de santé publique. En septembre 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing déclare que l’alcoolisme est le plus grand des fléaux sociaux. Il propose un plan sur dix ans afin de redresser la situation. Pourtant, les réglementations concernant l’alcool au volant et sa pénalisation tardent à se mettre en place, faisant de la France un très mauvais élève face aux États-Unis, l’Angleterre, la Suède ou encore la Suisse. En France, le chemin est long. Si, en 1959, une ordonnance sanctionne l’ivresse au volant, il faut attendre les années 1970 pour que les contrôles d’alcoolémie soient institués (jusqu’ici, ils posaient la question de la liberté du conducteur et étaient difficiles à instaurer). Entre 1970 et 1983, les seuils maximums d’alcool autorisés évoluent, jusqu’à atteindre 0,8 gramme par litre de sang. Cependant, pour passer devant un juge, le taux du conducteur doit dépasser 1,2 gramme d’alcool par litre de sang.
Les politiques de prévention
À la fin des années 70 – et en particulier dans les années 80 –, une ambiance sécuritaire traverse la France face aux risques de plus en plus élevés pour la santé publique : l’alcool, le tabac, le VIH. C’est le moment des grandes campagnes de prévention (la première a lieu en 1976), à l’aide des médias audiovisuels. Cette prévention, qui se veut d’intérêt général, est rendue légitime par les discours sur les dangers, et les risques. La prévention, vise à amener les citoyens à l’autolimitation dans ses modes de consommation. La communication des données scientifiques crédibilise campagnes. L’État crée la Délégation de la Sécurité routière en 1982 (commanditaire du film) afin d’agir « sur les comportements des usagers de la route pour les responsabiliser et contribuer au renforcement de la sécurité des infrastructures routières, des véhicules et des équipements de protection des usagers. » Il est à noter, que c’est avant tout pour des raisons de santé publique, que des réglementations et une pénalisation concernant l’alcool au volant sont mises en place, avant des considérations de sécurité routière.
En 1986, un fait divers mobilise l'opinion sur les dangers de l'alcool au volant. Un conducteur en état d’ébriété (1,30G) renverse une jeune fille qui décède des suites de ses blessures. Il est inculpé pour homicide involontaire en état alcoolique, et condamné à un an de prison avec sursis et 10 000 francs d’amende. La famille de la jeune fille est scandalisée, la presse fait de cette affaire un scandale public. En juillet 1987, une loi survient pour renforcer la lutte contre l’alcool au volant. Il s’agit de mettre en place des dépistages systématiques, de confisquer les véhicules, de suspendre les permis de conduire et d’aggraver les peines encourues. Le chauffard est devenu un criminel.
Les politiques de sensibilisation
Elles continuent de faire débat : faut-il faire peur, ou bien éviter de choquer pour ne pas provoquer un refus du message? Plusieurs jalons :
- En 1959, le Rapport au Président du Conseil des ministres sur l’activité du Haut Comité d’étude et d’information sur l’alcoolisme (1954-1958) recommande de ne pas « utiliser le sentiment de la peur » 1959, p. 86]. - Camille Picard, 2005 - Mais que fait la police? Représentations des forces de l’ordre dans les campagnes publicitaires de la Sécurité routière (1972–1999) INHES
- Le publicitaire Jacques Séguéla estime qu’une campagne de prévention doit être approchée selon les mêmes impératifs qu’une campagne publicitaire.
Il faut éviter de faire peur pour ne pas déclencher une réaction d’hostilité, de rejet du message. Comme lorsqu’il s’agit de vanter un produit de consommation, il faut plaire, séduire, stimuler. « Les publicitaires ne manipulent plus personne et le consommateur attend un discours adulte. Il attend intelligence et simplicité réunies : il faut que tout le monde comprenne le message et lui apporte quelque chose de sensé, de vrai, et qui le fasse réfléchir. » De son côté, le sociologue Christian Bachmann estime que l'imaginaire des spots est resté rétrograde : « Les thématiques utilisées dans les clips européens sur la drogue rappellent celles du XIXe siècle, lorsqu'il s'agissait de parler des périls vénériens ou des dangers de l'alcoolisme (…) Les nouveaux messages sur la drogue représentent l'application nouvelle d'une thématique de l'horreur aussi vieille que le monde. » (Drogues et images, actes des premières rencontres européennes, Paris - Parc de la Villette, 17-21 octobre 1994).
- En 1984, lancement de la campagne "Un verre ça va". En 1991 et 1994, deux campagnes « Tu t’es vu quand t’as bu » orchestrée par le Comité français d’éducation pour la santé. L'auteur est Daniel Robert, responsable de campagnes contre l’alcoolisme
- En 1999, la France suit l’exemple des campagnes anglo-saxonnes qui consistent à favoriser une prise de conscience par des représentations crues et frontales. La Prévention routière confie la réalisation d’un spot au documentariste Raymond Depardon. Il se sert de rushes tournés par les services de secours et les forces de l’ordre :
« C'est un plan fixe tout simple. Une voiture accidentée, vue de haut. Les pompiers dégagent le toit à la scie et à l'intérieur, il y a trois personnes. Elles sont mortes ». Raymond Depardon ajoute quelques plans qu'il tourne lui-même et la voix de Gérard Desarthes conclut en posant une question: « Jusqu'à quand laisserons nous faire cela? »
- En 2014, le débat se poursuit : Laurence Derrien, responsable de la communication de la prévention routière : « D'après les études que nous menons, le levier de l'émotionnel est le plus efficace. Le fait que les gens s'identifient et soient touchés par ce qu'ils voient laisse une empreinte mémorielle plus forte dans leur esprit ».
La présidence de Ligue contre la violence routière : « Nous avons toujours dit que ces campagnes ne changeaient pas les comportements, surtout quand elles jouent sur l'émotionnel. Ce qui compte, ce sont les campagnes d'information basées sur la connaissance ».