Ouverture sur un fondu enchaîné dans un raccord axial montrant la substitution d'un crâne humain au visage d'une femme fardée. Ce plan inaugural est remontré plus loin dans le film (30:44). C'est le seul qui ne s'insère pas dans la chronologie des événements que le film raconte. Il est emblématique dans le sens où il condense le message général de celui-ci : la tentation sexuelle (visage fardé) expose à une maladie mortelle (crâne humain).
Scène d'exposition : le port, les amoureux, les pêcheurs, les marins
Carton "Sur la côte bretonne", panoramique vertical puis horizontal pour montrer un bassin portuaire avec des barques arrimées, et des habitations qui s'élèvent derrière. Des villageoises font la lessive, plan moyen sur l'une d'elles, carton : "la plus jolie fille de tout le pays...". Première manifestation de cette tendance du film à expliquer en toutes lettres ce qui devrait être mis en scène (par un dialogue entre villageois à son sujet, par ex.). Gros plan sur son visage souriant, affichant douceur et sérénité. Carton : "Anne-Marie Keradec - Melle Claude Harod". Raccord sur un homme qui grimpe les barreaux de l'échelle pratiquée dans le bloc du quai. Le public comprend que c'est son apparition qui suscite le sourire de Marie (difficile à justifier, l'homme n'étant pas à portée de vue de celle-ci). L'homme s'est hissé sur la jetée, il referme ses deux poings sur son garde-corps en considérant l'horizon. Carton : "Yves Le Goff - Georges Oltramare". Un carton plus loin indique que les pêcheurs comme lui sont cent mille en France et les trois quarts sont bretons. Quelques vues sur des barques à voiles maniées par des pêcheurs depuis la berge. Carton : "C'est à eux que la marine doit ses équipages". Vues sur un défilé de marins dans une cour de caserne, avec ces cartons laudatifs : "troupe admirable" et "l'une des meilleures qui soient au monde". Le Goff étant appelé dans la suite du film à servir dans la marine de combat, celui-ci indique que son parcours est représentatif des évolutions professionnelles qui prédominent dans son milieu. (02:40)
Le Goff corrige son rival
Allongé dans l'herbe, un enfant vêtu en marin, muni d'une longue vue qu'il pointe vers l'horizon. Carton : "le petit Pierre - Fabien Frachat". En contrechamp avec fermeture à l'iris, une barque qui avance. Plan de coupe sur Anne-Marie qui lui sourit pendant qu'elle continue la lessive : elle lui a demandé de guetter l'arrivée de son amoureux. "Il a trois amis : la mer, Yves Le Goff, Anne-Marie...". Encore le choix de mettre en mots ce qui devrait être montré, comme s'il fallait économiser la mise en scène des sentiments. Sur le quai, deux hommes adossés à un mur. Le visage de l'un d'eux affiche une expression hostile. Carton: "Kéméan - Pierre Chanot". Quand Le Goff passe devant lui, il adresse un hochement de tête significatif à son compagnon pour le prendre à témoin. Gros plan sur Le Goff : il pense que ce signe de connivence le met en cause. Il revient sur ses pas, demande des comptes à Kéméan. Cartons : "De qui parles-tu?" "D'une fille qui n'est pas pour toi." "Nomme-la!" Alternance de gros plans de l'un et de l'autre, le visage de Kéméan affichant de plus en plus l'appréhension qui le travaille à mesure que celui de Le Goff apparaît plus résolu dans sa colère. Plans de coupe sur les autres pêcheurs alertés, qui cessent leurs activités pour aller assister à l'embrouille qui s'amorce. Quand ils en viennent aux mains, Pierre pévient Anne-Marie qui emprunte sa longue vue pour suivre son évolution. Succession de plans de coupe (que des faux raccords) pour montrer les pêcheurs qui environnent les combattants, certains assistant à la scène. Une fois que Le Goff a maîtrisé son adversaire, d'un geste élégant il le prend dans ses bras et le jette à l'eau. Humiliation du vaincu qui doit nager jusqu'à la prochaine barque. "Il est au jus" commente Pierre, ravi. Sourire du vainqueur. Anne-Marie exulte. En l'aidant à porter le baquet à lessive, Pierre vante les mérites de Le Goff pour l'inviter à ouvrir son coeur. Le Goff les croise sur le chemin. Un filet de pêche pèse sur son épaule, sa victoire ne l'a pas distrait des tâches qui lui incombent. Il a le sourire modeste quand Pierre lui rappelle son récent exploit. Son expression change, ses traits se contractent, son regard fixe intensément le corsage d'Anne-marie, montré en contrechamp en gros plan. Désir d'elle, frustration d'une vie sans femme, les deux à la fois? Gênée, troublée, elle se reboutonne d'un geste vif et lui demande, avec un air préoccupé : "C'est donc vrai que tu pars demain au service?" "C'est vrai, pour deux ans!" Succession de champ et contrechamp mettant en jeu les visages d'un homme et une femme qui, en silence, s'avouent leur attirance mutuelle et expriment leur désarroi devant l'échéance imminente d'un départ en mer qui va les désunir. (08:20)
Insomnie et houle marine : le désir qui lie les amants
Le Goff continuant son chemin vers son logis, une maison au toit de chaume qui surplombe la mer, les cartons révèlent que c'est son ambition sociale qui l'a déterminé pour le grand départ : il veut entrer dans la marine militaire pour s'élever. "Mais ce soir là...", le visage d'Anne-Marie apparaît en surimpression de l'onde marine sur laquelle il s'apprête à voguer pendant son long voyage. Cette image mentale témoigne du dilemme qui le saisit. Pierre passant près de la maison, il lui demande d'aller de sa part dire à Anne Marie : "Rien!.." Avec un sourire entendu, Pierre lui répond qu'il va "faire votre commission". Anne-Marie dans la maison de sa famille, dîne avec sa mère - carton : "La mère d'Anne-Marie - Mme Thérèse Reigner". Elle lui dit que le père de Kéméan lui a appris que celui-ci voulait épouser sa fille, elle-même le considère comme un beau parti, deux inserts montrant tour à tour un navire à voiles et un logis à la couverture neuve. Sourire caustique d'Anne-marie : elle ne veut pas de lui. La mère réagit par une expression de désarroi. Pierre survenant pour rapporter à Anne-Marie le message personnel de Le Goff, il l'amène à lui confier l'amour qu'elle-même éprouve pour le pêcheur. Pierre, ici, joue le rôle habituellement dévolu aux servantes dans les pièces du XVIIe siècle : en plus d'être entremetteur, il joue le rôle du sage qui pousse les amants à assumer leurs mutuelle attirance. La séquence qui suit met en scène la passion charnelle qui les unit. C'est la nuit, Anne-Marie, en proie à son désir, se tourne et se retourne sans son lit. En montage parallèle, des plans de la houle marine qui symbolise l'onde érotique qui la traverse. Cette séquence annonce celle qui met en scène, dans L'Atalante que Jean Vigo réalise en 1934, Dita Parlo dans le rôle de la jeune Juliette, jeune femme séparée de son mari marinier. Renonçant à dormir, obéissant à sa pulsion, refusant de se résigner à la fatalité de la séparation, elle se lève pour rejoindre Le Goff que l'on voit apparaître en montage parallèle, préparant son sac. Gros plan sur le genou d'Anne-Marie qu'elle gaine d'un bas noir. Elle s'extrait discrètement de sa maison, chemine dans la nuit jusqu'à la porte de Le Goff. Quand elle lui apparaît, joli montage en staccato de Le Goff exalté, montré alternativement en plan moyen et gros plan. Il s'approche d'Anne-marie, ils s'embrassent dans une commune étreinte. Par ce passage explicite, Le baiser qui tue montre comment l'amour charnel saisit les corps et détermine les parcours. L'aube venue, la mère d'Anne-Marie tombe en pleurs devant le lit vide, aux draps froissés de sa fille. Elle survient et lui lance avec un air résolu : "Je me suis promise à Yves Le Goff, il m'épousera à son retour de service. Réaction de colère et d'impuissance de sa mère. (16:43)
Le Goff, marin exemplaire
Les débuts de Le Goff dans la marine militaire sont brillants. Affecté comme canonnier à Toulon sur le cuirassé La Provence, son zèle, son talent et son courage (il a sauvé son navire et son équipage en évacuant un obus mal amorcé) lui valent d'être promu quartier-maître directement par l'Amiral et le Ministre de la Marine. Anne-marie apprend la nouvelle de cette distinction par la presse, grâce à Pierre qui a découvert l'article qui la communiquait. Deux mains se posent sur ses épaules : ce sont celles de Le Goff qui, ayant bénéficié par-dessus le marché d'une permission, est allé la rejoindre. Leurs rendez-vous se multiplient pendant son séjour, toujours au bord de l'eau, en tête-à-tête. le retour à bord de Le Goff est l'occasion d'une série de plans vantant la puissance et la vélocité de La Provence, qu'un carton qualifie de "chef-d'oeuvre de surhumaine puissance", avec des panoramiques et des contreplongées sur le double canon dignes du Cuirassé Potemkine qu'Eisenstein a réalisé deux ans plus tôt. Le Goff avance dans la carrière marine avec, "toujours sous ses pieds, la houle comme un grand coeur indompté". La mer reste le site métaphorique du film, symbolisant les forces qui tour à tour accompagnent et menacent Le Goff, lui donnent son élan puis l'en détournent. C'est la vitalité qui permet l'initiative et l'exploit, et soumet dans le même temps à la pulsion charnelle. Carton indiquant la fin de la troisième partie (28:58)
Fatale tentation
La conjonction "cependant" par laquelle commence la phrase du nouveau carton indique une bascule dans le récit. Autre élément qui annonce la tragédie en cours : Anne-Marie ayant consulté une voyante lui annonce qu'elle va affronter "un drame". Comme Anne-Marie lui en demande la nature, pensant à un naufrage, la voyante lui décoche un coup d'oeil égrillard. Sur les cartes qu'elle a tirées chemine une mouche, signe de saleté et de putréfaction. Anne-Marie devine le danger auquel elle est explosée : son visage inquiet alterne avec ceux de prostituées montrées en surimpression de vues sur des villes portuaires. Le dernier plan, consistant en un fondu entre un gros plan sur un visage de femme et une crâne humain, figure au tout début du film comme le descriptif l'a précisé. Succession stroboscopique entre le plan du crâne et le visage angoissé d'Anne-Marie. Carton qui résume sa situation d'impuissance : "Et désormais, Anne-Marie ne vécut plus que par les lettres de l'absent et dans l'espoir de son retour". La tragédie prend aussitôt forme. Le Goff, assis dans un estaminet portuaire, entreprend d'écrire à sa fiancée. Au dehors, le racolage de la prostitution est montré par des allers et venues de jambes gaînées de soie, bientôt rattrapées par des jambes de pantalon blanc de marin. Dans l'établissement, une femme s'installe derrière une table et allume un cigare. Carton : "La fille - Mme Jeanne Lusardi". Son regard croise celui de Le Goff, elle lui adresse un sourire enjôleur et un hochement de tête significatif. Excédé de désir, irrité de l'être, Le Goff va auprès d'elle et lui arrache son cigare d'un geste violent. Une fois qu'il est revenu à sa table, la "fille" va le voir, s'assoit à ses côtés pour lui caresser la tête. Il se laisse faire avec un sourire gêné de petit garçon, fondu au noir enchaînée avec des vues de voiliers à quai pour signifier une ellipse. Au plan suivant, ils s'embrassent, au plan d'après, Le Goff, ivre, lâche un billet sur la table alors que la serveuse et la "fille" échangent des regards complices. (36:46)
Frustration et mélancolie : la vie à bord
La séquence qui suit, montrant l'équipage à nouveau réuni sur le pont, plongé dans l'écoute de l'accordéon que joue l'un de ses membres, est celle des regrets et des remords. Regrets pour les autres hommes qui pensent aux plaisirs auxquels ils ont été arrachés. Gros plans sur leurs visages à l'expression mélancolique, alternant avec des vues sur la mer fendue par le navire. Cartons d'une poésie torride empruntée à "L'étal" d'Emile Verhaeren (Les villes tentaculaires, Paris, 1920, p.168) : "La vague éveille en eux des images qui brûlent", "les baisers mous du vent sur leur torse circulent..." Encore cette métaphore marine du désir qui harasse la conscience. Le Goff, lui, est en proie au remords en repensant au plaisir dans lequel il s'est jeté malgré la ligne de conduite qu'il s'était édictée. Comme il lui est demandé de jouer autre chose, le marin à l'accordéon se lance dans une chanson égrillarde sur une "fille à marins". Le refrain "sa jar'tière n'tenait pas" fait l'objet d'un travail graphique sur les cartons qui entrecoupent une séquence montrant une jeune femme dansant avec frénésie. Un autre marin se joint à lui avec une batterie. Comme ils jouent ensemble avec entrain, des scènes montrant des danseuses de cabaret se superposent à des vues des flots marins fendus par le navire. La séquence interjette des plans montrant un auditoire composé de jeunes hommes que la frustration et le mal du pays ont rendu mélancoliques, le front fiévreux et l'expression pensive. Ils se répètent de loin en loin dans la séquence qui se conclut par la reprise des deux cartons de citation de Verhaeren. Par sa durée (plus de quatre minutes - 37:24 > 41:41), et sa composition esthétique soignée, ce passage insiste sur l'épreuve que la vie en mer leur fait endurer.
"Tempête sous un crâne"
Le Goff en gros plan, regard caméra : il se rappelle tour à tour comment il a contraint Anne-Marie à une étreinte forcée et sa nuit avec la femme prostituée. Plus loin dans la séquence revient l'association entre la mort et la relation sexuelle sans précaution : la jeune femme qui se penche sur lui pour l'embrasser devient, par un fondu enchaîné, un squelette ironiquement revêtu de la robe qu'elle portait (46:29). Une spectaculaire alternance de plongée et contreplongée montre tour à tour Le Goff gisant sur le trottoir quand il se réveille au petit matin et les pans de toits sur lesquels ses yeux se sont ouverts. Retourné à bord, alors que l'escale se prolonge, il se contraint à ne plus quitter le bateau en se portant volontaire pour aider le fourrier (l'intendant) à tenir son registre. Celui-ci, étonné, lui demande s'il "y a quelque chose". Dénégations de Le Goff. Mais le commentaire relaie l'interrogation du fourrier : "il y avait quelque chose!..". Pour désigner la syphilis, le commentaire emploie une périphrase : "la plus effroyable des maladies - et pourtant, combien guérissable!". Par cette formule, le film tient ensemble deux registres préventifs distincts : faire peur (pour dissuader de s'exposer à des relations propices à la contagion) et rassurer (pour inciter à se faire prendre en charge si la maladie est contractée). Consultant le Larousse médical rédigé par Galtier-Boissière (publié pour la première fois en 1917), rangé à propos dans les rayonnages du fourrier, Le Goff se rend à l'évidence. Pour métaphoriser l'évolution physique qui le menace, enchaînement d'un plan de navire en fonctionnement avec celui d'une épave. Suit une séquence pédagogique avec intervention de schémas animés et de plans montrant des malades de la syphilis ou leurs progénitures hérédo-syphilitiques (plans empruntés au film Une maladie sociale, la syphilis : comment peut-elle disparaître?, réalisé en 1926 pour les établissements Gaumont, avec le concours du Dr. Leredde). (51:36)
"C'est un cauchemar!"
Ici commence une longue séquence décrivant le rêve que fait Le Goff suite à sa lecture édifiante. Il imagine qu'il refuse les soins médicaux, et les conséquences funestes de son geste. Un collègue avec lequel il s'entretient dans un bar lui recommande de ne pas consulter de médecin afin d'être certain que la nouvelle de sa maladie ne s'ébruite pas parmi le voisinage d'Anne-Marie, et de s'en remettre à un charlatan auquel il a eu lui-même recours. Il lui fournit les coordonnées du soignant occulte. Revenu chez lui, Le Goff se marie avec Anne-Marie et s'engage dans un thonier, renonçant ainsi à la carrière militaire. Ses visites au bistrot se font de plus en plus fréquentes alors que son épouse, devenue enceinte, se plaint de fièvre et de maux de gorge. Le regard mélancolique, elle commence à déboutonner son corsage pour lui montrer les marques qu'elle a découvert sur sa poitrine. Le Goff prétexte alors l'obligation de "retourner à bord" pour la quitter aussitôt. Mais dans l'établissement, ses visions se substituent au spectacle qu'il a cherché à fuir de son épouse atteinte par la maladie qu'il lui a communiqué. Les pièces de monnaie qu'il aligne sur la table où il s'est installé deviennent les lésions d'une peau syphilitique, un poulpe s'agite sous le plateau où il a posé son verre. Quittant l'estaminet où il s'est conduit comme un ivrogne, il erre le long de la mer pour ne pas rentrer chez lui. Carton : "Il prit son foyer, il prit son travail, et lui-même en haine". La conduite inconséquente de Le Goff l'amène à détruire les valeurs qu'il s'était données : droiture, fidélité, dignité, responsabilité, ascencion par le travail. Nouvelle scène pathétique d'enivrement forcené dans l'estaminet. Un carton explique qu'il a choisi l'alcool comme refuge contre "les affres du remords et l'angoisse de l'avenir". Irruption de la mère d'Anne-Marie, elle s'adresse à lui en levant les yeux au ciel. Le Goff l'écoute avec irritation. Elle lui apprend que l'enfant est né. "Est-ce qu'il vit?" "- Bien sûr qu'il vit, imbécile!" Il quitte sa table avec réticence et sort avec une démarche d'ivrogne. Anne-Marie, alitée, est très faible. Elle lui tend les bras quand il vient auprès d'elle, mais il reste à distance. "Yves! Mon petit Yves!", sourire de madone et regard sans lumière alors qu'il s'est enfin agenouillé à son chevet. Il va prendre le nouveau-né dans le berceau où celui-ci était installé et l'apporte à sa mère pour sanctionner l'union retrouvée. Un carton prévient : "Courte joie, quelques temps plus tard..." Le Goff, Anne-Marie, et un homme qu'on devine être un médecin, penchés tous les trois sur le landau. Leurs visages sont préoccupés. Gros plan sur le bébé dont les jambes sont parcourues de lésions. Anne-Marie prend une attitude éplorée, Le Goff reste prostré, le médecin lève sur lui un regard soupçonneux. La séquence se conclut par une crise de démence dont Le Goff est la proie. Elle commence par l'évocation d'un tour en mer qu'il a fait pendant la journée : est-ce pour signifier qu'il est allé boire au café? En tous cas, il revient à la maison passablement saoul, et prenant la hache qui sert à débiter le bois pour se chauffer, il frappe les assiettes et verres disposés sur la table, perd l'équilibre, renverse la table et tombe dessus à califourchon. Les gros plans sur son visage au regard fou, la bouche grande ouverte, sont impressionnants. La gestuelle désarticulée, au point d'en devenir effrayante, et l'insistance de la mise en scène à la détailler rappellent la longue scène qui conclut Les victimes de l'alcoolisme, film Pathé que Ferdinand Zecca avait réalisé en 1902. Anne-Marie, effrayée, sort de la maison avec l'enfant dans ses bras et appelle au secours. Le Goff est maîtrisé, emprisonné dans un filet de pêche. Carton qui dresse le bilan : "le père, l'enfant aveugle, la mère malade et désespérée." (01:06:50)
Nouveau carton qui révèle que le dernier développement de l'histoire n'était que le fruit de l'imagination angoissée de Le Goff : "Quel dénouement imaginer à ce cauchemar? Il n'y en a pas, c'est un cauchemar!" La formulation joue sur le double sens de cauchemar, en tant que situation réelle ou vision onirique, toutes les deux à mêmes de susciter l'épouvante. Le cauchemar comme rêve, par l'intensité de ses représentations et par l'enchaînement logique de ses successions, devient le moyen de persuader celui qui en est l'objet à faire en sorte qu'il ne devienne pas réel. Le Goff, heureux et soulagé de s'être réveillé, se rend auprès du médecin militaire qui répond à ses confidences que la syphilis nest pas une "maladie honteuse".