Jusqu’au début du xxe siècle, seules les pauvres et les « filles mères » accouchent à l’hôpital, où elles servent souvent à l’enseignement des futures sages-femmes et des jeunes chirurgiens. Leur mortalité y est bien supérieure à celle des accouchées à domicile. Dès 1856, le docteur Tarnier a établi que la mortalité en couches à la maternité de Port-Royal à Paris est dix-neuf fois plus forte qu’en ville (5,9 % contre 0,3 %). Ce sont surtout les épidémies de fièvre puerpérale, récurrentes jusqu’en 1880, qui déciment les nouvelles accouchées [Beauvalet-Boutouyrie, 1999]. L’hôpital est un lieu redouté par les futures mères qui préfèrent accoucher chez elles ou chez une sage-femme. En France, en 1900, 92 % des naissances ont encore lieu à domicile, dont 69 % avec une sage-femme et 19 % avec un médecin [Rollet, 1990]. Pourtant, la création en 1882 du corps des accoucheurs des hôpitaux et les progrès de l’hygiène et de l’asepsie à la suite des découvertes de Pasteur font reculer la mortalité hospitalière à partir de 1890. Au xxe siècle, dans les grandes villes, comme Paris, où les classes populaires sont mal logées, dès 1939, la majorité des naissances a lieu en milieu hospitalier (67,8 %, contre 7,7 % à domicile et 24,3 % chez une sage-femme.
Selon l’historien de la médecine Irvine Loudon [Loudon, 1992 ; Rivard, 2015] qui a effectué une étude comparative internationale de la mortalité maternelle entre 1880 et 1980, durant la première moitié du xxe siècle, la mortalité maternelle était moindre lorsque les accouchements avaient lieu au domicile, avec une sage-femme formée, que lorsqu’ils étaient assistés par un médecin, même dans les milieux les plus pauvres, et encore bien davantage lorsqu’ils avaient lieu dans un hôpital. Pourquoi ? parce que les médecins étaient plus interventionnistes et utilisaient le chloroforme et les forceps, souvent de façon systématique sans nécessité. À partir de 1937, grâce à l’usage des sulfamides, puis des antibiotiques dans les années 1940, le streptocoque responsable de la fièvre puerpérale devient moins menaçant et les causes de la mortalité maternelle hospitalière deviennent plus diffuses.
Malgré le bilan mitigé de l’obstétrique hospitalière, les femmes ont été incitées depuis les années 1950 à aller accoucher en grand nombre dans les maternités : c’est le « grand déménagement » [Knibiehler, 2016]. Pour la France, c’est en 1952 que le nombre des accouchements en milieu hospitalier dépasse le nombre des accouchements à domicile. Dès 1960, l’accouchement à domicile a presque disparu. Les femmes n’ont pas été « forcées » d’aller accoucher en milieu hospitalier : elles l’ont voulu, parce que l’hôpital était plus propre et confortable que leur logement souvent exigu et parce que les assurances sociales ont commencé à prendre en charge les frais d’accouchement. Elles ont aussi été sensibles à la propagande des médecins instrumentalisant la mortalité du passé pour faire peur aux femmes et les dissuader d’accoucher à domicile. ( Morel, M.-F. (2018). Naître à la maison d’hier à aujourd’hui. Travail, genre et sociétés, 39(1), 193-199. https://doi.org/10.3917/tgs.039.0193. )